Article de Guilaine Depis
Un poème holistique du vivant
« La vie est une création, le sait-on à dix-sept ans ? On le sait, oui, l’on voudrait vivre infiniment son propre poème. » .
Pari réussi : véritables constellations de mots, d’images, de sons, toutes les expressions artistiques auxquelles s’est adonné Emmanuel Bing sont reliées entre elles par le fil conducteur de la poésie, c’est à dire de la force d’émouvoir à partir d’un rien riche de sens, soigneusement choisi et agencé avec d’autres idiomes éveillant la fibre sensible.
L’argumentation polyphonique de Bing ose tout, s’essayant à inventer des partitions nouvelles dans tous les registres : dessin, photographie, vidéo, sculptures, musique, poésie : nous sommes en présence d’une sorte de laboratoire dédié au prochain.

S’engouffrer dans l’infini
Aux abords d’une œuvre si vaste et supérieure qu’on hésite à la pénétrer, la célèbre phrase de Socrate « Tout ce que je sais, c’est que je ne sais rien »  éclate de sens et nous renvoie au caractère éphémère, aussi nécessairement imparfait que bouleversant de nos vies.

Croiser le chemin d’Emmanuel Bing, c’est d’abord l’humilité de prendre conscience de son ignorance. Comme l’on peut craindre de séduire une femme trop belle qui nous réclamera trop d’attention et qui s’échappera tôt ou tard, il est possible d’éprouver des réticences avant de se laisser aspirer par l’abîme vertigineux de la galaxie binguienne. Il s’agit donc d’étreindre l’insaisissable du vivant et de toucher à l’essentiel du monde.

Effleurer une âme
Approcher l’œuvre d’Emmanuel Bing, c’est effleurer son âme au moyen de toutes les formes d’expression possibles : notre surdoué, assurément en avance sur l’espèce humaine, a surtout eu le génie de la précéder, de la toiser très en amont afin de mieux la cerner dans son essence sacrée.
Une magie d’ordre quasi druidique nous enveloppe, nous réchauffe et nous envoûte ; comme dans un cocon solaire, nous pouvons alors éclore à l’Être.

Mettre l’art en mouvement
Bing cherche à sortir l’art des ghettos dans lesquels il a longtemps été cloisonné, les aristocraties de toutes sortes s’étant emparé de ce trésor au si puissant ressort, authentique levier de toute une communauté affamée de sens et assoiffée de beauté. Se déploie chez lui un flux créatif afin que chacun s’implique dans son propre désir. Nous sommes entre univers psychique, littérature et installations plasticiennes. Toute création est dirigée vers la quête de la libération de l’art. Cette nouvelle philosophie de vie propose un regard transcendant sur le naturel et le banal capable de sublimer nos existences. Une aura majestueuse nimbée d’étincelantes pépites s’exhale de ses œuvres et permet d’appréhender la souveraineté royale que l’artiste aspire à ressentir en créant.

Traverser des rêves
Pour approcher la substantifique moëlle de Bing, il faut se souvenir qu’il a d’abord été un petit garçon, Emmanuel, qui se voyait comme un roi. L’artiste est en effet celui qui s’autorise à demeurer cet enfant au pouvoir créateur tout puissant. Par ses songes candides, l’enfant sait rêver mieux que personne ; Bing a gardé les songes, la candeur en moins.
Allaité au sein de la psychanalyse, bercé par le doux crissement du stylo sur la feuille blanche, Bing est cet extraordinaire guide qui sublime ses songes grandioses par l’incarnation. En les mettant généreusement au monde sous formes d’œuvres, il partage avec nous l’émerveillement précoce qui sous-tend son existence toute entière.

Relier par la Beauté
Confrontés à l’œuvre de Bing, la reliance est la plus forte émotion éprouvée. À travers ses œuvres aussi intemporelles qu’universelles, Bing est comme l’Éros, à la source d’un acte de communion humain qui va de l’inclination au mystère, puis à l’élévation à la paix et à la fraternité.
Le travail artistique modèle l’homme et engage à ce qui existe, fait chanter la matière.
L’auteur réclame un point de vue contemplatif, un idéal de paix intérieure – base de l’harmonie entre les vivants.
Se détacher de l’Ego et de ses illusions et combattre les quatre démons que sont la colère, la vanité, la peur, l’ignorance.

S’élever vers des cimes criblées de lumière
L’élan vital qui traverse l’œuvre de Bing, le lien social qui la promeut et les circonvolutions qu’elle engendre prend la forme d’ une épopée intérieure, invite au voyage. De résonance en résonance, d’association en association, il crée une trame transversale, oblique, en deçà de l’intrigue qu’il développe. Une trame propice à l’inconscient et au mythe qu’il sous-tend.
Ainsi, il promeut une vision tour à tour drôle et tragique, singulière et collective, actuelle et inactuelle : une pure folie, un scandale pour la raison, un art du vertige. Sinon le contraire : une légende, un conte, la promesse d’une paix à venir.
Il nous place face à un récit sensé, ponctué de références ésotériques, presque romanesques, qui se déverse ailleurs, se déplace le long d’autres frontières presque imperceptibles.

En marche vers la sérénité
Faire de sa vie un poème et de ce poème une mosaïque littéraire, picturale et sonore née d’un songe, n’est ce pas là l’ambition ultime de Bing ? Tracer un maillon, une tentative, une esquisse d’engagement pour la vie, désigner la voie royale, la pierre du chemin, apportée pour que d’autres y ajoutent et montent le cairn qui indiquera la direction ?
Puisez dans son labyrinthe le trésor qui vous appellera et vous pénétrera totalement afin de régénérer tout votre être et votre rapport à vous même, aux autres et au monde ; laissez-vous emporter par la déferlante, enivrer par une saine émotion, celle de vous souvenir d’où vous venez et de découvrir vers où vous cheminez, libéré(e) des stéréotypes et de l’insupportable chaîne des faux devoirs. Soyez bercé(e) par la douceur si violente de cet univers superficiel par profondeur et réciproquement. Hymne à la vie et à la communauté humaine dans laquelle il a davantage foi qu’en Dieu, l’œuvre de Bing dresse un piédestal au désir, au repos et à l’espoir. Par son parti pris de se concentrer sur l’essentiel, de faire de la simplicité une ligne de conduite éthique autant que de ses audaces des envolées lyriques pleines de panache fou, il est le révélateur de nos envies et l’apaisement de nos douleurs et haines stériles.

Guilaine DEPIS
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